La rentrée est là…. Vive la rentrée !!! On ne peut être plus consensuel… donc heureux ?
Pourtant, en y réfléchissant bien, pouvons-nous nous sentir à l’aise et serein dans un monde où les points de repères sont de plus en plus fluctuants et où nous avons, les uns et les autres, de plus en plus de difficultés à nous situer. Oui, indéniablement, nous vivons une époque difficile dominée d’une part par la dictature des médias qui, le plus souvent nous conditionnent et orientent notre façon de vivre, notre façon de nous comporter et d’autre part par le règne d’un matérialisme omniprésent dans notre quotidien.
La réussite semble correspondre au niveau de vie « affiché », le semblant l’emportant sur l’authentique, la caricature et le cliché sur l’être profond. La confusion est extrême et on confond, le plus souvent, « réussir dans la vie et réussir sa vie ». Je me rappelle encore ce slogan publicitaire diffusé à grand renfort de panneaux publicitaires : « Epatez vos voisins !!! Dites-leur ce que vous avez entendu sur notre radio » En peu de mots tout est dit : il faut épater… il faut être le meilleur (ou apparaître comme tel) … il faut être en état d’alerte permanente pour ne pas se laisser dépasser…
Malheur au faible !!!
Qu’il s’agisse du milieu professionnel, politique, culturel, sportif… l’émulation ne m’apparaît pas saine, elle n’est plus basée sur le goût de l’effort et le dépassement de soi mais sur l’écrasement de « l’autre » qui, de ce fait, devient le plus souvent l’homme à abattre ! Pour être le meilleur toute une panoplie est à disposition : tricherie, croche-pied, drogue, faux semblant, mensonge, non-respect de la parole donnée…
Pessimiste me direz-vous ? Je ne le pense pas. Réaliste…peut être ! Tant que l’argent sera le nerf de la guerre, tant que l’économie sera axée uniquement sur la consommation et le matérialisme nous vivrons des moments difficiles et incertains. Le monde a faim non seulement de nourritures terrestres mais de saines motivations d’espoir et de joies de vivre. On voudrait nous faire croire que les difficultés actuelles à vivre dignement seront apaisées sur terre par des solutions purement matérielles et que notre planète sera un jour un paradis, un jardin d’Eden où chacun trouvera sa place sans remettre en cause l’existence de « l’autre ».
Dans ce monde déshumanisé l’homme se sent atteint dans sa dignité, impuissant malgré son désir de progresser dans l’amour et dans la connaissance qui seuls sont à même de limiter son individualisme, son égoïsme, défaut le mieux partagé dans le contexte actuel. Dans son ouvrage « Divine blessure (1) » Jacqueline KELEN stipule : « La société actuelle a besoin de Saints et d’Eveilleurs, bien plus que d’économistes et de psychologues ».
Parmi les antidotes à ce « mal vivre » il en est un que je recommande parce que je l’ai adopté : il s’agit de la pérégrination sur les chemins de Compostelle !
Pourquoi tant de femmes et d’hommes décident aujourd’hui de partir sur « Le chemin des étoiles » si ce n’est pour retrouver un équilibre et une prédominance du spirituel sur le matériel seul à même aujourd’hui de répondre aux aspirations profondes de l’être humain et à lui rendre ainsi ses lettres de noblesse.
« Faire Saint Jacques » comme l’on dit : c’est retrouver des joies simples oubliées dans le désordre de la vie quotidienne, c’est retrouver ses racines en côtoyant notre bonne vieille terre et sa merveilleuse nature, c’est se surprendre en redécouvrant le goût de l’effort avec abnégation et persévérance, c’est oublié le superflu pour aller à l’essentiel, c’est oublier pour un temps son Ego pour se tourner vers les autres avec humilité et s’enrichir à leurs contacts.
En fait, les Chemins de Saint Jacques nous proposent tout un programme qui concoure, à terme, à rendre l’homme libre et responsable et à lui restituer sa véritable place dans le monde d’aujourd’hui.
Sachons apprécier à sa juste valeur cet espace salvateur qui au travers de ses traditions, de ses mythes et légendes et de sa spiritualité réconfortent et maintient l’espoir.
Pierre CATOIRE
(1) « Divine blessure » de Jacqueline KELEN Editions Albin Michel
Le Chant des pèlerins de Compostelle dont le premier couplet commence par « Tous les matins nous prenons le chemin… » est bien connu des pèlerin.e.s. Les paroles des 3 couplets et la musique sont de Jean Claude BENAZET ; le refrain est lui emprunté à la chanson Dum Pater Familias du Codex Calixtinus datant du XIIème siècle.
Voici le refrain et les 3 couplets :
R. Ultreïa, ultreïa !E sus eia
Deus, adjuva nos!1. Tous les matins nous prenons le chemin,
tous les matins, nous allons plus loin,
jour après jour la route nous appelle,
c’est la voix de Compostelle
2. Chemin de terre et chemin de foi,
voie millénaire de l’Europe,
la Voie lactée de Charlemagne,
c’est le chemin de tous les jacquets.3. Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend,
depuis toujours son sourire fixele soleil qui meurt au Finistère.
Amélie DESILES(1) fait remarquer que « la mélodie des couplets est identique à celle du chant liturgique n° H 64 (ou DEV 348) « Vers toi, Seigneur » plus connu sous le nom de « Sur les chemins de la vie » et dont le compositeur est Jo Akepsima » . Ce n’est pas exact car si on met les deux mélodies en parallèle, on constate pas mal de différences , mais aussi pas mal de similitudes . J.Cl. BENAZET le reconnait implicitement en répondant avec justesse que « si vous prêtez bien l’oreille, vous entendrez les différences, surtout si vous utilisez la bonne partition » (2).
(3)
C’est probablement pour cette raison que l’auteur insiste si souvent sur la « bonne partition ».
Cette chanson est connue également en dehors de la francophonie : elle a été traduite et donc aussi chantée en néerlandais (4), en anglais (5), en allemand (6), en alémanique (7), en italien (8) et enfin en polonais (9).
Victime de son succès, et au grand dam de son auteur qui proteste énergiquement, elle s’est vu s’adjoindre au fil des années de nouveaux couplets ou a même vu ses couplets modifiés. Toutes ces modifications , que nous appellerons pour la facilités versions ou variantes, n’ont pas connu le même degré de diffusion. Elles seront présentées en ordre décroissant de popularité.
La version la plus connue (10) (bien moins bien sûr que la version authentique) comprend 4 couplets (un couplet ajouté aux 3 authentiques). L’auteur en est Periotac ( Pierre Catoire, ancien Grand Commandeur de la Confrérie Fraternelle des Jacquets de France):
Ce 4ème couplet (11)
Quand l’amitié estompe le doute
Dans un élan de fraternité
On peut alors reprendre la route
Et s’élever en toute liberté
Une seconde variante bien connue comprend 5 couplets (2 couplets ajoutés à la version authentique). L’auteur de cette version nous est inconnu. .
Couplets 4 et 5 (12)
A chaque pas, nous devenons des frères
Patron St Jacques, la main dans la main
Chemin de Foi, chemin de lumière
Voie millénaire des pèlerins.
Ultreïa ! Ultreïa ! E sus eia Deus adjuva nos !
Mr St Jacques écoutez notre appel
Des Pyrénées à Compostelle,
Dirigez nous du pied de cet autel,
Ici-bas et jusqu’au Ciel
Cette version est même traduite en anglais, allemand, alémanique et italien (8). Elle est aussi parfois chantée en 6 couplets en faisant suite à la variante précédente (13).
Une troisième variante a 8 couplets (5 couplets ajoutés aux 3 authentiques). L’auteur en est anonyme. Mais une partie de son inspiration a été trouvée dans une prière de la liturgie des heures (tropaire de l’office des lectures) pour la fête de saint Antoine (14) et aussi dans une autre prière « Frère Pèlerin « (15). Il est vraisemblable que l’auteur de ce texte soit un clerc.
Prière « Va Pèlerin » (14)
Prière Frère Pèlerin (15)
Couplets 4 à 8 auteur inconnu (16)
Va, pèlerin, poursuis ta quête ;
va ton chemin,
que rien ne t’arrête.Prends ta part de soleil
et ta part de poussière ;
le cœur en éveil, oublie l’éphémère.Tout est néant :
rien n’est vrai que l’amour.
N’attache pas ton cœur
à ce qui passe.Ne dis pas : j’ai réussi,
je suis payé de ma peine.
Ne te repose pas dans tes œuvres :
elles vont te juger.Garde en ton cœur la parole :
voilà ton trésor.
Tout est néant :
rien n’est vrai que l’amour.
Frère pèlerin,
Viens au sanctuaire,
Marche vers la splendeur,
Ton Dieu lui-même marche avec toi. Prépare ton cœur
Et pars dans la confiance et la joie,
Seul ou avec tes frères
Mais viens Mets tes pas dans les pas de tes aînés.
Qui que tu sois,
Tu as ta place dans la maison de Dieu.
Tu as des frères à rencontrer
Des Saints à imiter,
Marie à écouter
Et l’Eglise à vivre
Si tu as soif de joie de paix,
De justice, d’amour et de pardon,
Viens puiser l’eau vive
Aux sources du salut.
Jeune plein d’ardeur,
alade habité par la souffrance,
Toi qui te sens en marge
Comme toi qui goûtes la douceur de la vie de famille,
Viens t’exposer à la lumière de l’Evangile.
Va, et reviens réconcilié,
Réconforté, renouvelé.
Annonce alors la bonne nouvelle à tes frères
Dieu nous aime et nous attend.
Marche vers la splendeur ;
Ton Dieu marche avec toi.
(1er congrès mondial de pastorale des sanctuaires et pèlerinages-Rome février 1992)
4. Va pèlerin va sur ton chemin,
prends ta part de soleil et de poussière,
Le cœur en éveil à la nature si belle,
sur la voie de Compostelle.5. Jeune ou vieux toujours prêt à partir,
à marcher sur les pas de notre Dieu,
Comme un oiseau volant à tire d’aile,
sur la voie de Compostelle. 6. N’attache pas ton cœur à ce qui passe,
ne te repose pas dans tes oeuvres,
Garde en ton cœur la Parole éternelle,
c’est la voix de Compostelle. 7. Prépare ton cœur et marche dans la joie,
plein d’ardeur, rempli d’espérance,
Dieu t’attend à l’ombre d’une chapelle,
sur la voie de Compostelle – 8. Ton Dieu lui-même marche avec toi
mets tes pas dans les pas de tes frères,
Abreuve-toi à la bonne nouvelle,
c’est la voix de Compostelle.
.Les 4 premières strophes de la prière « Va pèlerin » se trouvent aussi dans la chapelle Saint-Roch, près de La Roche sur le GR65(16). Cette version est citée à plusieurs reprises sur internet ou ailleurs (17).
Les versions suivantes sont plus confidentielles.
La version écrite par Bernard DELHOMME est un simple remaniement du texte originel des couplets 2 et 3 pour en améliorer les rimes.
Version authentique de J.Cl.BENAZET
Chemin de terre et chemin de foi,
voie millénaire de l’Europe,
la voie lactée de Charlemagne,
c’est le chemin de tous les jacquets.
Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend
depuis toujours son sourire fixe
le soleil qui meurt au Finistère.
Version remaniée par Bernard DELHOMME (12)
Chemin de foi, chemin de terre
de l’Europe la voie millénaire,
de Charlemagne la voie lactée,
c’est le chemin de tous les jacquets
Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend
depuis toujours son sourire éclaire
le soleil qui meurt au Finistère
A ma connaissance cette version n’a jamais été chantée
Une variante du 4ème couplet n’a probablement été chantée que par ces auteures
4ème couplet (18)
En Aveyron, Conques nous attend
Temps de carême et de partage,
Saint Augustin nous accompagne
Alegria dans nos bagages.
Enfin une variante en 6 couplets (le 6ème nouveau, ajouté à la version en 5 couplets citée plus haut) a été écrite et chantée par « Annie du chemin. »
6ème couplet (19)
Messire Jacques veille bien sur moi
Sois ma boussole et mon bâton,
Guide moi sur ma de vuelta*,
Pour rentrer jusqu’à ma maison.
*de vuelta, le retour en espagnol, se prononce dé buelta.
Pour être le plus complet possible, ajoutons qu’une version en 19 couplets (16 ajoutés au 3 premiers) existe aussi … (20)
Comme on le voit, les pèlerin.es se sont approprié la chanson: pour beaucoup d’entre eux, elle est devenue leur chanson.
Tout comme cela a été le cas au siècles passés pour la « Grande chanson des pèlerins de saint Jacques » qui a vu se multiplier les versions (Denise PÉRICARD-MÉA en donne 5 différentes datant du XIVe au XVIIe siècle (21) ou encore pour la chanson bretonne « Yan Derrien Santiago de Compostela » qui en comptent au moins quatorze (22), « le chant des pèlerins de Compostelle » de J.Cl.BENAZET vit sa propre vie.
Son auteur a de quoi s’enorgueillir de voir son œuvre atteindre si rapidement une telle notoriété.
Face aux vicissitudes de la vie, tout parent a le choix entre garder son enfant, devenus adulte, sous sa tutelle ou, confiant dans son avenir, de lui laisser prendre son envol en toute liberté…
(3) La partition du chant « Vers toi Seigneur » est reprise de la page https://www.chantonseneglise.fr/chant/638#638-3 et celle du « Chant des pèlerins » de la page de Bernard DELHOMME : http://www.xacobeo.fr/ZF2.02.mus.Ultreia.htm (l’auteur n’ayant pas répondu à ma demande de l’envoi de la bonne partition)
Il existe également une version musicale à 2 voix, écrite par Jean Claude BENAZET
(10) DEBRUYNE Christian dans son livre « De Namur à Compostelle en 100 étapes« , Memory, dit l’avoir vue sur le mur de l’auberge Casa Jesus de Villar de Mazarife
GIRARD Marie-Éliane dans son livre « L’aventure d’une femme riche et célèbre, » Cram,2017 dit l’avoir chanté dans la cathédrale du Puy-en-Velay, sous la dirction d’un prêtre, le texte des 4 strophes inscrit sur un tableau noir
HUBERTAlain dans son livre « Compostelle, vous en pensez quoi? », EdiLivre dit l’avoir entendu chanter.
Elle est également présentes sur de nombreuses page internet
(17) Sur le site de François LEPÈRE sur la page : https://www.chemin-compostelle.fr/va-pelerin/
PESCHARD Anne, « Au rythme de mes pas. Chemin de solitude, chemin de rencontres », EdLivre, 2015 : L’auteure dit l’avoir vue affichée dans l’auberge d’Élisa, à Le Barp
Elle est présentée comme un poème par Roger CARRERE, « Poème pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle (auteur inconnu)« . sur le site de « Choeur de l’Estelas » : http://09160estelas.centerblog.net/135-130-le-retour-du-pelerin
(20) Ayant oublié d’en noter l’adresse internet, je ne suis plus arrivé à la retrouver par la suite…
(21) PÉRICARD-MÉA Denise, « Cinq versions de la « Grande Chanson » des pèlerins de Saint-Jacques » sur le site de la Fondation David Parou : https://www.saint-jacques.info/gdechansred.html
(22) MORVAN Nolwenn, « Chansons de tradition orale en langue bretonne dans les livres, revues et manuscrits», sûr le site https://to.kan.bzh/chant-00256.html
C’est une belle légende qui va naître au moyen-âge. Toutefois, la coquille saint Jacques que les jacquets ramenaient des cotes de la Galice, comme preuve de leur périple, n’est qu’un emblème que les chrétiens fixèrent sur un symbole bien plus ancien puisque de toute éternité, comme tout symbole d’ailleurs. Car le symbole, en tant que signifiant, véhicule du savoir fondamental de la Tradition Primordiale, exprime un signifié immuable et permanent
Dès l’époque secondaire, ces mollusques construisaient leur coquille en suivant les leçons de géométrie transcendante. Le mot coquille est issu du latin vulgaire conchilia pris du latin classique conchylium, coquillage. Ce mot est emprunté au grec de même sens konkhulion diminutif de konkhê (conque, d’où Conques…) et croisé avec le latin coccum (coque). L’étymologie n’aura pas fini de nous révéler d’autres secrets de cet hermaphrodite aux allures si féminines. En effet, Aphrodite est le nom de la déesse grecque connue des romains sous le nom de Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, bien évidemment. Plusieurs peintres, dont Corelli et Botticelli, ont été inspirés par cette Vénus et nous ont légué des tableaux représentant la naissance d’une Vénus, sortant nue et vierge d’une coquille, ou bien tenant une coquille. La coquille signifiait donc virginité, beauté et amour. Ceci pour les significations étymologiques, mythologiques et symboliques de la coquille, avant que ces millions de pèlerins ne se rendent à cet occident de la terre, à Fisterra.
Au début de ces grandes migrations, les pèlerins se contentèrent de ramasser quelques coquillages qu’ils trouvaient sur la plage et qu’ils ramenaient chez eux comme souvenir. Car depuis l’Antiquité on portait des coquillages pour se préserver de la sorcellerie, du mauvais sort et de toutes sortes de maladies. L’iconographie chrétienne de la coquille n’apparaît que bien plus tard, avec le culte voué à saint Jacques en ce début du Moyen Âge. Sans doute pour des raisons symboliques, la coquille s’est imposée comme attribut de l’apôtre et a donc pris le nom de saint Jacques. Petit à petit, cousue sur le chapeau, sur le sac ou sur le manteau, elle va devenir l’emblème, non seulement des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais progressivement de tous les pèlerins. En plus de son pouvoir protecteur, elle permettait de se distinguer des autres voyageurs, de boire dans les fontaines ou de demander l’aumône car à la vue de la coquille, la charité devient devoir. C’est ainsi que depuis, les pèlerins placent leur voyage sous le signe de ce symbole.
Le « Veneranda dies », sermon extrait du Codex Calixtinus(1) confère une légitimité à ce symbole et le codifie en précisant que les deux valves du coquillage représentent les deux préceptes de l’amour du prochain auxquels celui qui les porte doit conforter sa vie, à savoir aimer Dieu plus que tout et son prochain comme soi-même. Et nous voici ramenés à la notion d’Amour déjà signifiée par la coquille dans la mythologie. Et en s’appuyant sur le premier épître de Jean (1Jn 4,16) « Dieu est Amour et celui qui demeure dans l’Amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » ce sermon précise que cet Amour de Dieu n’est pas seulement une idée ou une espérance, mais que, dans la foi, il est une rencontre avec ce Dieu qui nous a aimés le premier et nous permet de répondre à l’Amour divin. Car l’Amour est une énergie. Nous pouvons même dire qu’il est l’Energie Une, celle qui n’est pas limitée par l’ego, celle dont découlent toutes les autres. C’est l’agapè, terme grec qui exprime l’Amour infini de Dieu, l’Amour gratuit, traduit en latin par caritas, qui est devenu charité, celle qui conduit à la plénitude. Certes, le pèlerin ignorait peut être tout ce développement du symbolisme de la coquille qu’il arborait sur ses vêtements. Mais le Chemin, au fil des jours et des rencontres le lui rappelait résolument et , presque à son insu, il aimera son prochain comme soi-même, en application du commandement le plus important.(Mc, 12,31) et sous l’influence bénéfique de la coquille.
La coquille saint Jacques est aussi appelée Mérelle ou Mérelle de Compostelle. Mérelle signifie Mère de la Lumière. Elle évoque les eaux, c’est-à-dire la fécondité, l’énergie qui renferme quelque chose de délicat, de précieux. La perle est un trésor identique au grain de sénevé, à la pierre philosophale; symbole essentiel de la féminité créatrice. Cachée dans sa coquille, la perle est Connaissance nécessitant effort et persévérance. La perle a un caractère noble, dérivé de sa sacralité. C’est pourquoi elle orne la couronne des rois ; elle signifie le mystère du Soi rendu sensible. Elle joue un rôle de centre, lorsque les instincts sont maîtrisés : il s’agit de spiritualiser la matière, le corps, de transfigurer les éléments grâce à l’introversion de l’énergie, à la concentration que la perle cachée, puis découverte, représente justement. Nous sommes maintenant plongés dans un vocabulaire et un environnement alchimique, où Mérelle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore « l’eau benoîte » des Philosophes. Car le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est celui de la quête de l’intériorité, de cette perle précieuse comme l’est la démarche alchimique. Cette quête prend son départ en nous, tel que nous sommes (notre matière première) et nous conduit de dépouillement en dépouillement, de révélation en révélation, jusqu’à notre centre, source d’une vie nouvelle. Un guide intérieur, en qui nous mettons toute notre confiance, nous accompagne dans ce voyage, il est symbolisé par saint Jacques. Et, en arrivant à Compostelle, la coquille portée au chapeau, se transforme en astre éclatant, en auréole de lumière, car le premier but de transformation de la conscience est atteint. L’Adepte sait lire le Grand Livre de la Nature. L’étoile qui lui a servi de guide tout le long du parcours, maintenant illumine son esprit. Il peut la traverser et se rendre à Fisterra et, devant l’infini de l’océan, se préparer à la rencontre de l’Absolu.
Le Logo.
Le logo européen a été établi par les graphistes espagnols Macua et Garcia-Ramos à la demande du Conseil de l’Europe. Nous connaissons tous cet emblème jaune sur fond bleu servant de balisage sur les chemins de saint Jacques. Nous étions tous, un jour très heureux de le revoir, nous croyant perdus sur le Chemin. Que signifie-t-il exactement? Nous pouvons lui trouver quatre niveaux de lecture différents :
1 – C’est l’emblème traditionnel des pèlerinages vers Saint Jacques. La représentation stylisée de la coquille saint Jacques dont nous venons d’évoquer le symbolisme.
2 – L’idée de convergence des chemins. Une représentation symbolique de l’ensemble des chemins de saint Jacques en Europe qui convergent tous vers cet unique point, situé dans la partie la plus occidentale de l’Espagne.
3 – Ce logo transmet également cette notion de dynamique des mouvements vers l’Ouest, de cette transhumance occidentale qui existe depuis l’aube de l’humanité, représentant en ceci la poursuite de la course de l’astre solaire, symbole primitif de la divinité.
4 – Mais le quatrième niveau de lecture est certainement le plus intéressant, car le plus ésotérique. Ce logo est obtenu à partir d’un cercle. Un cercle s’appréhende par une lecture double: il est ce que l’on voit, c’est-à-dire une forme pleine, homogène et statique, parfaitement fermée sur soi. Mais il est tout autant ce qui ne se voit pas : un vide, un abîme cachant en soi un chemin invisible, principe de toute ouverture. Il est donc l’intermédiaire nécessaire entre le visible et l’invisible. Il est au delà de la frontière qui existe entre le créé et l’incréé. Atteindre le centre du cercle c’est rejoindre l’origine et la fin, l’ Alpha et l’ Omega, c’est donc se libérer définitivement de sa situation terrestre et matérielle, c’est la finalité de toute initiation. Comme nous le savons tous, le cercle est composé d’un centre (qui vient d’être évoqué dans le chapitre précédent) et d’une circonférence. Celle-ci est divisée en douze parties égales. (Douze mois, douze apôtres, douze signes du zodiaque, deux fois douze heures, etc.) Le point ainsi obtenu et situé le plus à gauche, à l’occident, est le point d’où tout émane et où tout converge : le Principe.
Les deux points immédiatement adjacents sont reliés entre eux. Ainsi ils ne convergent pas vers le point focal, mais forment avec lui une trinité, la transcendance du ternaire. Les neuf autres points convergent vers le point focal, le Principe, et forment ainsi l’image d’une coquille symbolique. Ces neufs rayons qui irradient représentent les neuf degrés d’émanation du Principe, ils sont donc porteurs des neufs noms de Dieu, ceux que Dieu donna à Moïse sur le mont Sinaï. Ils représentent aussi les neuf niveaux de la hiérarchie angélique. Il résulte de ce schéma que nous avons désormais un moyen d’appréhender le Dieu incognicible par le biais de ses degrés d’émanations successifs et ses intermédiaires. Le Deus Absconditus ne se cache plus, mais se révèle à l’aide de ces neuf rayons, dans une nuit obscure, nous indiquant ainsi, à tous, la voie du retour, celle qui nous fait passer du multiple à l’Unité, celle qui nous replacera dans notre état primordial, celui de la Connaissance, quand nous étions nous même Dieu.
Santiago ! Santiago ! Ce
nom nous porte tel un objectif à atteindre tout le long du Chemin. Il nous
donne des ailes, lors de la descente de Monte do Gozo. Nous survolons ce pont à
l’entrée de la ville sans presque prendre le temps de photographier le panneau
indicateur nous signalant notre arrivée au but. Nous traversons les faubourgs
au pas de course et slalomons dans le dédale des ruelles pour enfin surgir sur
la Plaza del Obradoiro, à l’ombre de cette cathédrale tant sublimée. Enfin nous
posons nos pieds sur la borne zéro et marquons ainsi la fin de notre périple.
Tout s’achève ici ! Vidé on s’écroule en larmes. Hébété, on s’assied sur un
muret ou sur les marches de la cathédrale. Immobile, le regard hagard, délavé
par le soleil et la pluie, on observe les gens qui bougent autour de nous. On
reconnaît de ça et là des visages connus, des visages qu’on n’avait plus vus
depuis trois jours, une semaine ou plus d’un mois. On se salue, on s’étreint,
on s’embrasse. Encore un petit tour à la messe des pèlerins où ce merveilleux
chant, accompagné à l’orgue, souligne la majesté de la cérémonie du
botafumério. Un dernier arrêt chez Manolo pour partager un ultime repas avec
nos frères et sœurs d’un moment. Puis tout s’achève, demain il faut à nouveau
retourner de là où l’on vient, soit en voiture, en bus, en train ou pire
encore, en avion. Arrivé chez soi un étrange malaise nous saisi, une espèce de
mal être, une impression de vivre à coté de ses pompes qui peut durer quelques
jours, quelques mois, peut-être quelques années. C’est le spleen du retour que
nous allons essayer d’analyser au travers de cet article.
Que c’est il passé pour que nous
éprouvions cette mélancolie après avoir connu tant de bonheur ? Un jour nous
sommes partis du Puy, de Vézelay, d’Alsace ou d’ailleurs sans vraiment savoir
pourquoi. Les motivations du départ sont rarement déclarées, au mieux quelques
raisons nous apparaissent lors du chemin. Mais une force indescriptible nous a
poussés sur le Chemin. Nous avons tout quitté, tout ce qui nous rattachait à
une vie que nous souhaitions mettre entre parenthèse un certain temps, peut
être pour en changer, mais en tout cas pour la suspendre le temps de la
réflexion. Derrière nous la sécurité de la routine, le confort des habitudes, l’aisance
qu’apportent les biens matériels, le bien être qu’on éprouve dans
l’environnement social où l’on est reconnu. L’on abandonne tout cela pour se
lancer dans l’inconnu d’un Chemin que l’on croit mythique parce que des
millions de pèlerins l’ont déjà emprunté avant nous. Les difficultés
apparaissent très vite : ampoules aux pieds, douleurs musculaires, hantise de
la tendinite qui nous stopperait sur place. Il nous faut affronter le froid, la
faim, la fatigue, les journées entières de marche sous la pluie, traverser
l’Aubrac sous la neige (pour certains) , patauger dans les sentiers boueux, se
perdre sur le Chemin en raison d’un balisage défectueux, dormir dans des
dortoirs bruyants, s’accoutumer à la promiscuité permanente. Bref, toutes ces
difficultés vont être vaincues, mais petit à petit et sans qu’on s’en aperçoive
car nous modifions notre métabolisme, nous nous adaptons à ces nouveaux rythmes
biologique et sociologique inconnus jusqu’à lors et nous nous accommodons à ce
nouvel environnement.
Cependant, tous ces tourments ne
pèsent plus rien par rapport à l’immensité du bonheur vécu. Cette joie intense
éprouvée lorsqu’on démarre au petit matin, lorsque l’éclat du jour a chassé les
ténèbres et que la grande lumière commence à paraître. Cette euphorie qui nous
envahi lors de chaque lever du soleil, le plus souvent dans la brume du matin.
Ce plaisir de nettoyer nos chaussures lors de nos premiers pas dans la rosée.
Cette sensation de légèreté renouvelée chaque jour par la conscience de la
liberté retrouvée. Ce ravissement offert par la nature qui se renouvelle au
printemps, les couleurs des fleurs qui transforment le paysage en tableau de
maître. L’enchantement procuré par le chant des oiseaux qui nous interprètent
un concerto avec le coucou au fond des bois comme soliste. La sensation
d’élévation que l’on ressent en admirant la splendeur des chapelles, églises et
cathédrales rencontrées sur le chemin. Le bien être d’une douche chaude à
l’arrivée et l’euphorie d’un plat de pâtes fraternellement partagé le soir au
gîte. Et par dessus tout, la richesse des rencontres effectuées, celles des
gens qui vivent au bord du Chemin en partageant le même idéal avec ces pèlerins
qui défilent devant leur porte et qui nous accueillent comme des membres de
leur famille. Ainsi que ces rencontres avec ces autres pèlerins si différents
de nous mais qui cheminent tous, portés par la Foi, par l’Espérance d’un monde
meilleur, par le désir d’une humanité plus fraternelle, par d’autres attentes
plus personnelles et plus intimes qui leur appartiennent et que nous
pressentons sans les connaître parce que tout simplement nous avons cheminé
avec eux.
Le Chemin a quelque chose
d’héroïque, non pas que le pèlerin soit un héros, mais parce que le chemin
conduit celui qui s’y engage vers le dépassement de lui même. Parce qu’il
permet à celui qui s’y aventure d’actualiser en lui l’archétype du parcours de
l’âme, de la conscience humaine.
Il est religieux au plein sens du
terme. Parce qu’il restitue l’homme dans ses racines de nomade. Parce qu’il
l’inscrit au cœur d’une tradition universelle (celle du pèlerinage) connue de
toutes les civilisations, de tous les temps, de tous les continents. Parce
qu’il relie l’homme à la nature et par elle au Principe. Parce que sur le
chemin, rien ne s’oppose au passage de la Lumière. Parce qu’il est voyage et
reconnaissance du véritable « opus dei » sous la forme du travail de la
nature et de celui des hommes. Parce qu’il est chemin de solidarité et de
fraternité.
Il a quelque chose d’alchimique y
compris dans ses manifestations les plus élémentaires. Toutes ces journées
passées sous le soleil, mais ne faut-il pas passer la matéria prima au creuset
pour la dissocier? Toutes ces journées passées sous la pluie dense, mais ne
faut-il pas plusieurs fois procéder aux lavures pour recueillir le sel?Les chaussures dans la poussière ou la
boue de la terre, les cheveux dans l’air du vent. Voici le pèlerin au centre
des quatre éléments.
Il a aussi quelque chose
d’initiatique. Parce qu’il éclaire l’être sur ses limites (mais il n’y a de
limites que celles qu’on accepte ou qu’on s’impose à soi même), sur les
attitudes qu’il a vis à vis du monde qui l’entoure. Parce qu’il l’invite à
renouveler et à élargir la perception qu’il en cultive. Parce qu’il remet
l’homme au contact des éléments naturels et de leurs principes radicaux. Parce
qu’il est apprentissage, celui de la route, compagnonnage, celui des
rencontres. Parce que ce chemin, qui fait d’un touriste un pèlerin, conduit
vers la maîtrise en obligeant l’homme à trouver en lui même les sources de sa
spiritualité, de sa Lumière. Parce qu’il est un immémorial chemin de Sagesse.
Parce qu’il réclame et insuffle de force. Parce qu’il témoigne de la beauté des
œuvres de la nature et du travail des hommes.
La plupart des mythologies nous
parlent d’une chute primordiale. En effet, l’homme avant d’avoir acquis sa
forme dans la matière a vécu avec Dieu (Gen. 1,26-27). Il en a encore la
conscience au fond de lui et, ainsi, ressent son existence sur terre comme un
exil dans un monde qui n’est pas le sien. En éprouvant la nostalgie de son état
édénique primordial il n’aura de cesse de remonter vers le Principe d’où il est
issu. Mais on ne passe pas du monde de la matière, celui de la manifestation
grossière, au monde de l’Esprit, celui du non manifesté, sans une transition
dans un monde intermédiaire, celui de l’âme. C’est un monde médiateur entre le
monde matériel et le monde éternel. Il échappe à la spatialité et à la
temporalité terrestres. Il est situé entre Ciel et Terre et c’est à la fois le
lieu des possibles et le lieu des réalisations où se rencontrent les êtres
subtils. Le lieu où peut s’opérer la relation entre l’âme et le Divin. Ce monde
intermédiaire est celui où les formes sensibles s’immatérialisent et où les
intelligences pures prennent une corporéité spirituelle.
C’est ainsi, qu’en opérant un
détachement de tout ce que nous jugions comme nécessaire et un renoncement à
tout ce que nous pensions essentiel que le Chemin réalise notre dépouillement
indispensable et nous fait pénétrer dans ce monde intermédiaire qui nous
procure cette sensation de vivre ici un « avant goût du Paradis ». En
effet, arrivés sur la Plaza del Obradoiro nous avons perdu tout ce qui est
inutile : nos illusions, le goût du confort, nos habitudes et aussi quelques
kilos en trop. Mais nous avons gagné la pureté que confère l’ascèse, la
certitude que la Lumière existe et la connaissance du bonheur ressenti dans
l’Amour. Car, comme le disait Ibn’Arabî : « Si tu
aimes un être ou la nature pour sa beauté, tu n’aimes nul autre que Dieu, car
il est l’Etre-Beau. Ainsi, sous tous ses aspects, l’objet de l’Amour est
uniquement Dieu. »
La magie du Chemin est en fait une grâce qu’Il nous fait,
un merveilleux cadeau qu’Il nous offre. Rappelons nous ce qu’avait écrit Guénon,
« les différents stades initiatiques sont souvent décrits comme les étapes
d’un voyage… » Être en voyage, en Chemin, est donc synonyme de cet état
de recherche, d’errance, qui est état intermédiaire et probatoire nécessaire à
l’individu comme pour les peuples, ainsi que nous en donnent l’exemple les
Hébreux « errant pendant quarante ans dans le désert avant d’atteindre la
Terre promise ». Le Chemin qui n’est autre que la « Voie Lactée »
visant à rejoindre le champ des étoiles, c’est-à-dire le « Compostelle »
dans son sens véritable. Le Pèlerinage terrestre est donc, en même temps, un
voyage céleste effectué par le « noble voyageur » celui qui s’initie
aux mystères de l’hermétisme. Finalement, c’est en parcourant ce Chemin, en
effectuant le Pèlerinage sacré que se dévoilent les « Petits
Mystères », la connaissance des lois cosmiques du domaine dit
« intermédiaire » et que nous nous rapprochons du Centre.
Voilà ce que représente le
Chemin, par son abandon de tout : il est une intrusion dans le monde
intermédiaire. En tant que progression vers son être intérieur, il procure la
sensation du rapprochement avec le Principe et du retour à l’état adamique
primordial. Les portes de l’Eden se sont entre ouvertes et les chérubins, armés
de leur glaive nous invitent au retour. C’est cette perception paradisiaque,
vécue le temps d’une parenthèse dans notre vie qui nous offre cette impression
« d’avant goût du Paradis ».
Il n’est pas étonnant, alors que
la parenthèse se referme, que l’on ressente le retour dans la matière du quotidien
comme une deuxième chute. L’on ne c’est même pas rendu compte que celle-ci
était programmée dès le Cebreiro, d’où partent les bornes qui tous les cinq
cents mètres en font le compte à rebours. Tout ce qui nous était familier avant
notre départ devient soudain étrange. Nous devenons des inadaptés à la vie qui
était pourtant la nôtre. Nous vivons ici, mais nous sommes ailleurs. Ce
décalage entre notre existence et notre essence véritable insuffle cette
nostalgie que nous avons dénommée le spleen du retour.
Alors, y a-t-il des remèdes ?
Bien sûr ! Et ils sont nombreux. Le plus évident, mais aussi le plus difficile
à mettre en œuvre est d’essayer de prolonger le Chemin dans la vie de tous les
jours. De transmettre à tous ceux qu’on aime notre flamme, notre besoin d’Amour
et ce qu’il faut pour qu’ils ressentent, eux aussi, l’envie de partir à leur
tour. Un autre remède consiste à se retrouver entre pèlerins au sein d’une
Association, car le pèlerin est grégaire. D’initier les candidats au départ et
d’échanger avec les anciens uniquement pour le bonheur de l’évocation de
merveilleux souvenirs communs. Il existe certainement encore bien d’autres
remèdes. Mais le meilleur parmi eux est encore de repartir, de se replacer sur
le Chemin quel qu’il soit (chemin intérieur ou chemin de poussière et de
cailloux), il n’est pas nécessaire qu’il aboutisse à Santiago. Nous l’avons
tous compris, ce n’est pas Santiago qui est important, c’est le Chemin. Après
tout, la borne zéro de la Plaza del Obradoiro marque plutôt un début qu’une
fin. Alors, Frère pèlerin, remets tes chaussures, reprends ton sac et ton bâton
et marche. Tu verras !
Le désir de cheminer m’est venu tout à fait par un pur hasard (mais le hasard existe-t-il ?) lors d’un weekend passé en Aveyron où il me fut donné de découvrir ce beau village de Conques, passage mythique des pèlerins venus du Puy en Velay et se dirigeant vers Compostelle…. Pour la première fois j’entrais en contact avec des « jacquets » nom donné à ces pèlerins qui ambitionnent d’atteindre à force de courage et d’abnégation le tombeau de Saint Jacques en Galice, ils forçaient mon admiration de par l’enthousiasme et la foi inébranlable qu’ils manifestaient dans la réussite de cette aventure que j’entrevoyais périlleuse !!!
Le dialogue établi avec certains
d’entre eux m’a tellement impressionné que je n’ai eu alors en tête que de les
imiter….
Un de nos confrères, comme bien
d’autres d’ailleurs, rappelle très bien les motivations qui les ont poussés à
prendre le chemin, je les cite :
« Ainsi naît « une
envie » dans votre tête qui prend chaque jour une place un peu plus
grande, je devrais dire des envies : l’envie de savoir, mais savoir
quoi ? de savoir qui on est…. Ce personnage qui habite votre peau depuis
60 ans et qui court sans jamais s’arrêter, qui juge les autres, qui éduque les
autres, qui tremblent pour les autres, qui parfois haït les autres, qui souvent
boude les autres, qui croit en Dieu mais qui doute en Dieu. N’est-il pas temps
de le juger ? N’est-il pas tard pour l’éduquer, le conseiller, le
rectifier ? Ce corps qui vieillit, qui s’embourgeoise, qui s’empâte,
n’est-il pas temps de le réveiller, de l’éprouver, de le raffermir ? Ce
mari est-il un bon mari ? Ce père est-il un bon père ? Ce grand père un bon grand père ? Cet
ami un bon ami ?….
Quelqu’un m’a dit sur le chemin :
« j’avais envie d’accomplir quelque chose d’extraordinaire que peut faire
quelqu’un d’ordinaire ».
1600 km à pied avec près de 10
kilos sur le dos…
Rompre les amarres comme le marin
quitte le port…
Quitter son foyer comme le marin
quitte la terre…
Réapprendre Humilité, Tolérance,
Pardon…
Gagner la terre promise à la
seule force de ses mollets…
Gagner la Sagesse à force de
méditation…
Gagner la Foi à force de prières…
Gagner sa propre estime à force
de courage…
Gagner plus de bonté à force de
partage…
Retrouver Dame nature et
réapprendre à l’aimer….
Retrouver le temps et prendre le
temps au temps…
Connaître la séparation pour
mieux aimer après…
Pour toutes ces raisons le chemin
devient une obsession. On finit par saturer ses proches à force d’en parler.
Puis, quand arrive le moment de partir, c’est la peur panique qui vous étreint,
le doute ! En parler, c’est facile, mais le faire devient complètement
fou. »
C’est dans cet état d’esprit
qu’un beau matin, ma femme m’a accompagné en voiture au Puy en Velay, la peur
au ventre je partais pour le Chemin….
Je me rappelle mon départ : ce moment de
grande solitude, me retournant à plusieurs reprises pour apercevoir les petits
signes d’encouragement de mon épouse restée après moi devant l’impressionnante
façade mozarabe de Notre Dame du Puy…. Le cœur gros je me suis alors élancé
pour un cheminement que je n’oublierai jamais…Le premier pas, le seul qui
compte selon l’adage populaire n’est pas toujours aisé, il arrache à la
quiétude de la vie régulière pour une durée plus ou moins longue et livre aux
aléas du chemin, du climat, des rencontres, d’un emploi du temps que nulle
urgence n’entrave…Franchir le pas est synonyme de changer d’existence….
Ce périple, préparé avec minutie,
m’a amené à me départir de bon nombre de choses et d’encombrantes habitudes,
j’étais conscient qu’il me fallait abandonner tous ces métaux qui nous envahissent et qui
brillent d’un éclat trompeur et qui constituent une richesse illusoire pour ne
garder que l’essentiel et ainsi allégé le plus possible le sac à dos seule
possession permise sur un chemin qui ne peut être que de sagesse…Avec « ma
maison sur le dos » il m’a fallu aussi me séparer de ce confort faussement
sécurisant qui nous limite dans l’authenticité de notre expression.
Ainsi je me préparais, amputé du
superflu, à cheminer entre ciel et terre, entre Zénith et Nadir traduisant
l’universalité de la marche que je percevais alors intuitivement comme un mode
de connaissance, un détour fructueux dans le déjà long cours de ma vie.
Curieusement, devant la
perspective de cette marche, j’éprouvais une confiance inébranlable alors que
jusqu’à ce jour j’avais été peu enclin à la randonnée et assez frileux devant
les efforts physiques qu’engendraient les distances à parcourir mais quelque chose
au fond de moi m’incitait à persévérer dans cette entreprise. Je me rappelais
une phrase qui m’avait interpelé à la lecture d’un ouvrage intitulé « Les
étoiles de Compostelle » écrit par un admirable Henri Vincenot et qui a
certainement contribué à mettre en mouvement des hommes ordinaires évoluant
dans un monde de plus bruyant : « On ne peut asservir l’homme qui
marche ».
J’allais donc cheminer sur
« la voie lactée « suivi en son temps par Charlemagne… »le Campus
Stellae » et me diriger vers l’occident où le soleil se couche en
disparaissant dans la mer au bout de la terre « finis terra » symbole
de ce chemin de Compostelle qui tend vers l’au-delà de ce qui est terrestre,
visible, tangible. En quelque sorte un éveil à ce monde intermédiaire qui nous
rapproche de Dieu !
Je me suis donc mis en chemin et
très rapidement j’ai pris conscience qu’au fil des kilomètres le chemin devient
notre seul maître, il nous modèle à l’image d’un chemin ininterrompu où le contact
avec la terre-mère » devient une évidence chaque jour un peu plus palpable…J’aime,
dans ces moments de pérégrination, « écouter » le silence qui procure
un sentiment aigu d’exister et qui me rapproche au plus près de « dame
nature ». Dans ces instants privilégiés j’avais l’impression de me
retrouver dans un « état second » propice à un dépouillement qui incite
à faire le point, à prendre ses marques, à retrouver une unité intérieure
favorable, si besoin est, à franchir le pas d’une décision difficile….
J’éprouvais
aussi la sensation agréable de pouvoir côtoyer les quatre éléments
indispensables à la vie et que nous avons un peu négligés voir malmenés parce
que pris par les aléas de la vie quotidienne…. A savoir : la terre, l’eau,
l’air et le feu…
Le pèlerin est en effet en prise
directe avec le vent qui accélère sa marche ou en ralentit son rythme selon le
bon vouloir d’Eole, roi des vents, génie bienfaisant ou redoutable mais de
toute manière considéré comme manifestation de l’air, principe de toute vie…
Le cheminant est parfois
confronté à la pluie qui rend souvent le chemin boueux et difficile nécessitant
une attention soutenue pour ne pas chuter aidé en cela par notre bâton de
pèlerin appelé « bourdon » devenu le principal attribut des pèlerins.
Mais la pluie peut aussi être une douce
complice qui vient fouetter délicieusement le visage incitant à l’éveil de ses
sens et redonnant, quand il le faut, l’énergie régénératrice qui efface la
fatigue sous-jacente accumulée par de longues journées de marche …. L’eau
source de vie, moyen de purification et de régénérescence ne saurait manquer au
pèlerin qui la bénit tout au long du chemin lorsqu’elle étanche sa soif. La nature
a d’ailleurs, elle aussi, le besoin d’être purifiée par l’eau…
Sur le « Camino
Francès » partie espagnole du chemin de Compostelle, le Pèlerin chemine
entre Burgos et Léon sur une région géographique appelée « Meseta »
Cette partie de chemin aride et désertique est particulièrement redoutée par le
pèlerin car le soleil y est impitoyable en été et les endroits abrités sont
quasi inexistants…Les chauds et brulants rayons de notre astre majeur brûlent impitoyablement la peau du cheminant
rappelant par là-même l’épreuve du feu….
Avec le soleil nous ne sommes
jamais seuls d’autant qu’il nous projette une fidèle compagne qui sera pratiquement
toujours avec nous : notre ombre. Cette dernière, qui nous précède
jusqu’au moment où le soleil est au zénith, nous suit inexorablement jusqu’au
terme de notre étape journalière….
Savoir que je mets mes pas dans
les pas de milliers de pèlerins qui ont parcouru le chemin avant moi ne me
laisse pas insensible et fortifie chaque jour un peu plus ma détermination à
aller jusqu’au bout du chemin avec l’aide de Dieu qu’il m’arrive de prier
secrètement afin qu’il me donne le courage de vaincre les obstacles et les
intempéries…
Le pèlerin ne traverse pas une
contrée, il s’en imprègne, la nature fait partie de lui et il éprouve un
impératif besoin de partager ce qu’il ressent même si cette envie de partage
est intériorisée et ne pourra se concrétiser qu’à l’arrivée de l’étape au sein
du gite accueillant. Il retrouve l’unité du corps et du mental qui se fondent
ensemble dans une unité retrouvée : « il est » Avec ces deux
mots, « s’ouvre pour le pèlerin le vaste champ de l’activité spirituelle ».
Le pèlerin est alors réceptif et
à chaque étape il perçoit de mieux en mieux ce que signifie l’appel du
chemin…
Entre Rabanal del Camino et
Pontferrada, au sommet d’un col il découvre un immense tas de pierres en forme
de cône portant en son milieu un tronc dépouillé de cinq mètres de hauteur
parachevé d’une croix de fer dépourvue d’ornements. Nous sommes à la
« Cruz de Ferro ». Il s’agit là d’un ouvrage collectif car les
pierres sont empilées par des milliers de pèlerins depuis des temps immémoriaux
et il est d’usage de déposer ici « sa pierre » portée depuis le
départ. Ne peut-on reconnaître là un désir « d’apporter sa pierre à
l’édifice » et ainsi de communier et communiquer avec les autres.
J’ai découvert sur le chemin de
Compostelle un espace de moments doux et chaleureux
empreints d’amitié et de fraternité, je
dirais d’amour, qui nous font tant de bien et nous régénèrent utilement avant
de retrouver un monde profane bruyant et le plus souvent ordinaire…Quelle
joie aussi de voir que sur ce chemin d’autres
pèlerins passés avant nous ont eu une pensée pour leurs suivants en déposant
par endroit de petites pierres signalant ainsi la route à suivre : ce sont
des « mont-joie » de petits riens qui font un immense plaisir et qui
contribuent à renforcer la fraternité compostellane !!!
La marche sur Compostelle c’est aussi une ouverture au monde qui invite à l’humilité et à la saisie avide de l’instant. Son éthique de la flânerie et de la curiosité en fait un outil idéal de formation personnelle, d’apprentissage par le corps et par la réflexion existentielle. La vulnérabilité du marcheur est une bonne incitation à la prudence et à l’ouverture à l’autre plutôt qu’à la conquête et au mépris. Il rappelle à l’homme à la fois sa fragilité et sa force.
La marche est une activité anthropologique par excellence car elle mobilise en permanence le souci de l’homme de comprendre, de saisir sa place dans un tissu du monde, de s’interroger sur ce qui fonde le lien aux autres. Enfin elle décentre de soi.
Le chemin de Compostelle c’est
aussi découvrir et aller sur les traces d’un passé révolu mais qui ont marqué
et marquent encore notre présent : le compagnonnage. Si on veut comprendre
le présent, il me paraît indispensable de connaître le long cheminement qui a
présidé à notre héritage religieux, culturel, architectural, en somme tout ce
qui touche l’homme.
Tout au long du chemin notre
esprit vagabonde vers le passé, vers nos bâtisseurs de cathédrales à qui nous
devons toutes ces merveilles qui embellissent nos jours de pérégrination et
nous font rêver à un passé déjà lointain où la valeur des choses s’appuyait sur
la compétence, l’authentique, le culte du travail bien fait à la gloire de
Dieu…
Il serait illusoire de vouloir
citer d’une manière exhaustive toutes ces cathédrales, églises, hôpitaux de
pèlerins découverts sur les quelques 1500 kilomètres de mon cheminement et qui
m’évoque une citation de Simone Weil : « La Beauté c’est l’harmonie
du hasard et du bien » car c’est effectivement grâce à mon engagement sur
le chemin que j’ai approfondi, avec ma disponibilité d’esprit, ce que pouvait
vouloir dire « beauté » et en mesurer toute l’ampleur….
Tout au long du chemin la pureté
de l’Art roman n’a d’égal que la majesté du gothique et ces témoins d’une ère révolue
nous ramènent tout naturellement en pensée vers ces grands bâtisseurs réunis au
sein d’un compagnonnage qui nous fait encore rêver aujourd’hui…Sur ce chemin
tout est symbole il suffit simplement de prendre le temps et la
disponibilité nécessaire à l’émerveillement.
Les compagnons du XIXème siècle effectuaient
à pied leur tour de France avec un baluchon accroché à un bâton. L’itinérant
savait pouvoir trouver un gite et le couvert pour quelques jours ou quelques
mois que les corporations de métier avaient choisi. Tout comme l’hospitalier
est à l’écoute du pèlerin, la mère aubergiste veille sur l’apprenti tandis
qu’il affine sa connaissance des techniques locales qui lui permettront plus
tard d’être un maître dans son métier. Ce périple visait aussi à former
l’homme, à l’initié à la complexité et à la diversité des régions en lui
apprenant par son corps même la sensorialité et le sens du monde. Long rite de
passage, le tour accouchait d’un homme nouveau, dépouillé de son ancienne
juvénilité, capable à son tour d’ouvrir sa boutique et de fonder une famille
De nos jours le pèlerin ne
ressemble t-il pas au compagnon d’autrefois ? La pérégrination,
lorsqu’elle est envisagée en tant que démarche spirituelle, n’a-t-elle pas pour
objectif de tuer le vieil homme pour qu’émerge un homme nouveau ?
Compagnon et pèlerin cheminent l’un et l’autre avec un bâton et un baluchon à la recherche d’une connaissance qui fait murir et devrait conduire vers lasagesse. Cette dernière, associée à la volonté nécessaire à l’achèvement de son parcours qui nécessite une force morale et physique et baignant profondément au sein d’une nature qui n’est que beauté, le pèlerin est en situation pour s’épanouir et se révéler à lui-même….
Démuni de tout artifice,
confronté à l’insécurité du chemin et à l’interrogation du lendemain, baignant
dans une chaude et douce ambiance que seule la nature peut lui apporter, le
pèlerin s’élève vers ce monde intermédiaire qui le rapproche du créateur même
si le chemin qui mène vers lui est encore loin. La marche est confrontation
à l’élémentaire, elle est tellurique, elle est immersion dans l’espace. En le
soumettant à la nudité du monde, elle sollicite en l’homme un sentiment du
sacré. Il est alors en capacité d’aimer, de fraterniser, il n’est pas loin d’appréhender
l’égrégore propice à l’élévation de l’âme. L’autre n’est plus un concurrent, un
rival, l’enfer n’existe plus même pavé de bonnes intentions, la fraternité
vraie peut s’exprimer ! Le chemin de Compostelle c’est cela : une vraie
fraternité d’entraide, de respect, d’amour….
Je suis donc près du but, je vais
découvrir cette superbe cathédrale dont j’ai si souvent rêvé…. Curieusement à
la perspective d’arriver enfin au but mon corps se relâche, je perds
brutalement l’énergie qui fut mienne durant ces deux mois de pérégrination et
mon rythme de marche est alors considérablement ralenti comme si je voulais
prolonger indéfiniment ces moments de pleine sérénité et de spiritualité vécus
tout au long de cette marche devenue, au fil des pas, démarche…. J’ai
conscience que cet espace privilégié de liberté touche à sa fin et qu’il va me
falloir retrouver une vie ordinaire
faite de matérialité, de compétitivité
et de relations plus intéressées….j’ai peine, en effet, à envisager la fin de
ce cheminement car j’ai conscience que « jamais je n’ai tant pensé, tant
existé, tant vécu, tant été moi », (si j’ose m’exprimer ainsi en reprenant
les écrits de Jean-Jacques ROUSSEAU puisés dans « Ses pensées ») , que
sur ce chemin que je pense pouvoir définir comme un « chemin de
vérité ». Ce moment de suspension du temps où s’ouvre un passage octroyant
à l’homme la possibilité de retrouver sa place, de gagner la paix en faisant
provision de sens et de force intérieure ne sera plus bientôt qu’un beau
souvenir…. Je prends la vive conscience que ce n’est pas l’homme qui fait le
chemin mais que c’est le chemin qui fait l’homme !
Encore quelques pas dans les vieilles rues de
Santiago parcourus avec une tension extrême et une envie à peine voilée de
faire durer quelques instants de plus cette pérégrination… J’y suis, je découvre avec une émotion
enfantine non dissimulée la place de l’Obradoiro et son imposante cathédrale à
la façade baroque. Je retrouve aussi de nombreux visages de pèlerins perdus,
retrouvés et reperdus au hasard du chemin. On se connaît à peine mais peu
importe : on s’embrasse, on s’enlace, on rit, on pleure, le bonheur est à
son comble : la fraternité n’a jamais été aussi présente dans son
dépouillement et son authenticité….
Les cloches de la cathédrale
carillonnent, je n’avais jamais perçu combien elles peuvent être joyeuses et
annonciatrices d’une vie qui ne sera plus jamais comme avant. Elles semblent
marquer pour moi le départ d’une vie nouvelle, non ce n’est pas une fin mais un
commencement : le vieil homme est mort et fait place à un homme neuf qui
prend en compte tout ce potentiel acquis dans l’effort mais également dans et
avec l’amour des autres plus que jamais présents près et autour de moi et sans
lesquels je prends conscience que je ne serais rien.
Les chemins de Compostelle sont
aujourd’hui parcourus par des milliers de pèlerins non plus dans l’affirmation
ostentatoire de la foi mais dans une quête personnelle de spiritualité. Les
chemins de foi d’antan deviennent des chemins de connaissance qui rappellent la
signification et le prix des choses, nous les parcourons aussi par fidélité à
l’histoire, Les chemins de vérité cèdent la place à des chemins du sens, chaque
pèlerin étant invité à y mettre un contenu personnel dans le cadre d’une
démarche qui lui est propre.
S’engager sur le « Camino »
c’est se dégager d’une vie « existentielle » pour accéder à la vie
essentielle qui contribue à l’épanouissement de la liberté nous permettant
ainsi de retrouver la communion avec notre milieu de vie. Si l’homme veut
gagner en liberté il doit s’harmoniser avec les lois universelles, c’est pour
cela que l’évangéliste Jean présente le pêché comme un esclavage. La démarche
pèlerine devrait s’accorder sur ces préceptes et s’avérer apte à déboucher sur
une démarche axée sur la spiritualité.
Voilà c’est fini, il me faut,
après une provision de sens et de force intérieure, retrouver le vacarme du
monde et ses soucis quotidiens…. Je vais revoir ma famille, mes amis, mon cadre
de vie habituel. Malgré les soins attentifs qui vont mettre prodigués après une
si longue absence je perçois que la transition va être rude et je mesure
combien j’aurai besoin d’être entouré pour que je puisse sauvegarder et garder
au fond de moi-même la fraternité et l’amour si présents dans la démarche
pèlerine si l’on sait garder au cœur la simplicité qui engendre l’humilité et
sans laquelle il n’y peut y avoir le vrai respect de la vie.
Pourquoi et qui s’engage sur le chemin ?
Pour les jeunes, à l’aube de la
vie, ils viennent faire le point avant de se lancer dans une activité
professionnelle. Ils viennent pour « passer du monde de l’enfance, de ses
rêves et de ses contes et légendes, à la vie d’adulte. Ils sentent, souvent de
façon intuitive, que cette expérience sera un pont permanent entre les deux et
va leur apporter un ensemble de valeurs pour la vie future, en totale
adéquation avec leurs espérances. Certains sont aussi poussés par leur foi,
alors que d’autres fuient un monde dont ils ne veulent plus !
Pour les anciens, l’heure des
comptes se rapproche et la vie dite active terminée, un trait est tiré !
Là aussi, il faut « passer » à autre chose et pouvoir vivre le
« tiers temps » selon les fondamentaux traditionnels connus, mais pas
toujours vécus. Cette volonté de s’améliorer est inconsciemment une préparation
à la dernière échéance. Le chemin est le « lavage » de tout ce qui a
souillé l’idéal, première étape de la remise à neuf nécessaire.
Pour certains d’entre eux
s’ajoute la réalisation d’une promesse faite d’accomplir le chemin à un moment
difficile de leur vie. Pour d’autres ce sera une pénitence ou une action de
grâce en remerciement d’un vœu réalisé. Mais pour tous, le chemin est aussi une
« aventure » que l’on espère, un moment où l’on devra se remettre en
question de dépasser ses limites habituelles.
SAINT JACQUES le Majeur, frère aîné de JEAN, fils de ZEBEDE, Pêcheur en Galilée, abandonne sa barque pour suivre le Christ comme apôtre. Bien qu’il fût l’un des premiers apôtres et martyrs, il avait été surnommé par Jésus « Fils du tonnerre » pour avoir voulu exterminer un village qui refusait d’accorder l’hospitalité au Christ. A la mort de ce dernier il part, dit la légende, évangéliser la Péninsule Ibérique, c’est-à-dire l’Espagne et c’est justement la fervente admiration des espagnols qui l’a rendu célèbre. C’est l’époque où tous les pays européens cherchaient à adopter un apôtre.
Puis, il revient à Jérusalem où il sera décapité par HERODE AGRIPPA en 44.
La légende veut que la dépouille de SAINT JACQUES fut, de nuit, chargée sur un bateau par ses disciples et ramenée discrètement en Espagne où il fut enterré dans un lieu dit « COMPOSTELLE ». Son tombeau fut découvert – ou supposé tel- vers 813-833.Guidés par une étoile, deux bergers découvrirent en effet dans un champ un sarcophage de pierre contenant des reliques. La foi populaire des Espagnols identifia ces restes comme étant ceux de Jacques le Majeur. Le champ où fut découvert le tombeau devint alors le « campus stellae », le champ de l’étoile.
Une petite église fut d’abord construite au-dessus de la tombe et un culte local se développa. Dès 839, le roi des Asturies Alphonse II fit agrandir cette église qui devint la première cathédrale consacrée à Saint Jacques où les premiers pèlerins s’y rendirent.
Au Xéme siècle la renommée du pèlerinage atteint la France et le premier pèlerin non espagnol connu est l’évêque GODESTAL du Puy en Velay qui visite le tombeau en 950.
Ce saint à la réputation guerrière (il aida à la Reconquista) attire d’abord les chevaliers, les princes et les prélats originaires de France, d’où le nom de « chemin des Français » utilisé dès 1079. (C’est aujourd’hui le « CAMINO FRANCES » emprunté par tous les pèlerins d’Europe sur le territoire espagnol). Le reste de l’Europe suivra dès le XIème siècle.
Le premier guide des pèlerins est rédigé dès le XIIème siècle par un certain AIMERY PICAUD, sans doute prêtre à Poitiers ou ses environs. Selon ce guide quatre chemins conduisent à saint Jacques, nous les retrouvons aujourd’hui !
On pouvait se rendre à Compostelle en personne, soi-même, ou, si l’on était riche, par procuration en payant une tierce personne pour parcourir le trajet à sa place.
Le départ d’un pèlerin faisait toujours l’objet d’une cérémonie publique dans le village avec remise du bâton ou BOURDON, de la bourse et du CREDENTIAL.
Arrivé à Compostelle, lorsque le pèlerin a satisfait à sa dévotion, il lui est remis un certificat : la COMPOSTELLA. Grâce à ce document, le simple pèlerin sera réintégré dans sa communauté, le condamné délivré de sa peine, et celui qui aura accompli le voyage par procuration pourra accréditer sa mission.
A cette époque, les pèlerins faisaient des étapes de 40 voire 70 kilomètres par jour avec de simples sandales, une cape, un chapeau et leur bourdon. Mais l’espérance de vie était de 40 ans et beaucoup mouraient sur le chemin de froid, de faim, de maladie ou d’une attaque de loups ou de brigands (les Coquillards) et ce malgré un nombre croissant de places fortes hospitalières : églises, monastères, châteaux forts, communautés templières qui s’érigèrent tout au long du Chemin.
C’est entre le XIIème et le XVème siècle que le pèlerinage est à son apogée. Aux chevaliers et princes se joignent les dévots de condition plus modeste et des pénitents condamnés à pérégriner pour le pardon de leurs péchés ou de leurs fautes. On allait aussi à Compostelle pour remercier d’une grâce ou pour l’obtenir, pour la quête d’une indulgence ou la recherche d’une rémission. Cette période était aussi propice à la vénération des saints au travers des reliques qui faisaient la richesse des sanctuaires qui les possédaient et qui attiraient en nombre les pèlerins. C’est ainsi que des reliques de Saint Jacques sont disséminées un peu partout au point de découvrir des doublons…
Les routes de pèlerinage étaient, outre des motivations mystiques, des routes de commerce, à l’égal de celles de la soie ou des épices, en raison de l’afflux des pèlerins appartenant à toutes les classes de la société qui, du plus humble au plus puissant, apportaient en offrande des dons abritant des corps saints particulièrement vénérés. On n’hésitait d’ailleurs pas à pratiquer le rapt des corps saints dont le plus connu sous l’appellation pudique de « translation furtive » fut celui de Sainte Foy d’un monastère d’Agen à Conques avec la complicité des moines de cette cité.
A partir du « Siècle des Lumières » qui voit les philosophes et écrivains de l’Encyclopédie combattre l’obscurantisme religieux, il y a un glissement des reliques de saints vers les reliques profanes de grands personnages historiques. La crise du XIVe siècle en Occident avec ses cortèges de guerres et d’épidémies n’a pas été sans influence sur les pèlerinages et sur l’état d’esprit des marcheurs. Puis brusquement à la fin du XVe siècle le pèlerinage périclite et disparaît lentement : les guerres de religions déchirent la France et rendent les déplacements périlleux hors des villages. De surcroît la dévotion à Saint Jacques et le pèlerinage qui lui est attaché, comme toutes les formes de dévotion médiévale confinant à la superstition, sont confrontés à un nouvel état d’esprit critique né de la Réforme et de l’humanisme. Ne lit-on pas, sous la plume du philosophe Erasme (qui fut entre autre chanoine régulier de Saint Augustin) dans « L’éloge de la folie » : il faut être fou pour aller à Saint Jacques ! Ce n’est qu’à partir des années 50 que les chemins de Compostelle reprennent force et vigueur non seulement en tant que chemins de pèlerinage mais aussi en tant que route historique et culturelle.
Depuis une vingtaine d’années je suis attaché aux pèlerinages vers Compostelle au point d’avoir fondé en 2004 la Confrérie Fraternelle des Jacquets de France et d’y avoir consacré la quasi totalité de mon temps de retraité…
Il faut dire qu’il ne se passe pas plusieurs semaines sans que les médias nous relatent des expériences de pèlerins avides de narrer leur pérégrination ou encore la mise en exergue d’un nouvel ouvrage consacré aux chemins de pèlerinage jacquaire!
Cette couverture médiatique serait -elle liée à un besoin de combler un vide au sein d’une presse écrite ou parlée quelquefois à cour d’information ou à un effet de mode que l’on désire prolonger?
S’il n’avait s’agit que d’un effet de mode je pense que l’engouement ressenti un instant serait déjà retombé comme le sont bon nombre d’effets de mode que meublent les conversations entretenues par des journalistes en quête de phénomènes ponctuels comblant leur insatiable appétit de diffusion!
Non « Compostelle » répond réellement à un besoin qui ne saurait se dissiper au fil du temps mais s’amplifier à mesure que notre monde se déshumanise et s’articule autour de l’appât du gain et de l’économie ce qui contribue à la prédominance de la matérialité sur le spirituel.
Les pérégrinations sur les chemins de Compostelle permettent très souvent à ceux qui les appréhendent de s’échapper de leur quotidien pour « prendre le temps » et découvrir (ou redécouvrir) le contact avec la nature et ses éléments que sont la terre, l’air, le feu et l’eau. Cette imprégnation favorise la réflexion voire l’introspection qui débouche naturellement sur les questions existentielles que chaque individu se pose, même si beaucoup répugnent à les faire remonter à la conscience: d’où je viens, qui suis-je, où vais-je?
On prend très vite conscience que la pérégrination ne peut être que spirituelle et, au fur et à mesure que l’on avance, le marcheur, qui pouvait n’être qu’un simple randonneur, s’élève progressivement vers ce chemin intermédiaire occupé par la méditation qui murit l’individu et le rend responsable de sa propre destinée!
J’aurais l’occasion de revenir sur ce phénomène qu’est la pérégrination vers Compostelle et la place qu’il prend ou qu’il peut prendre dans la vie de chaque jour pour celles et ceux qui luttent au sein d’un monde de plus en plus difficile pour se positionner!