A PROPOS DU CHANT DES PELERINS DE COMPOSTELLE ET DE SES VARIANTES

A propos du Chant des pèlerins de Compostelle de J.Cl. BENAZET et de ses variantes

par Pierre SWALUS
pierre.swalus@verscompostelle.be

Le Chant des pèlerins de Compostelle dont le premier couplet commence par « Tous les matins nous prenons le chemin… » est bien connu des pèlerin.e.s.  Les paroles des  3 couplets et la musique sont de Jean Claude BENAZET ; le refrain est lui emprunté à la chanson Dum Pater Familias du Codex Calixtinus  datant du XIIème siècle.

Voici le refrain et  les 3 couplets :

R. Ultreïa, ultreïa !E sus eia
Deus, adjuva nos!
 1. Tous les matins nous prenons le chemin,
tous les matins, nous allons plus loin,
jour après jour la route nous appelle,
c’est la voix de Compostelle
 
2. Chemin de terre et chemin de foi,
voie millénaire de l’Europe,
la Voie lactée de Charlemagne,
c’est le chemin de tous les jacquets.
 3. Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend,
depuis toujours son sourire fixe
le soleil qui meurt au Finistère. 

Amélie DESILES(1) fait  remarquer que « la mélodie des couplets est identique à celle du chant liturgique n° H 64 (ou DEV 348) « Vers toi, Seigneur » plus connu sous le nom de « Sur les chemins de la vie » et dont le compositeur est Jo Akepsima » . Ce n’est pas exact car si on met les deux mélodies en parallèle, on constate pas mal de différences , mais aussi pas mal de similitudes . J.Cl. BENAZET le reconnait implicitement en répondant avec justesse que « si vous prêtez bien l’oreille, vous entendrez les différences, surtout si vous utilisez la bonne partition » (2).

 

(3)

C’est probablement pour cette raison que l’auteur insiste si souvent sur la « bonne partition ».

Cette chanson est connue également en dehors de la francophonie : elle a été traduite et donc aussi chantée en néerlandais (4), en anglais (5), en allemand (6), en alémanique (7), en italien (8) et enfin en polonais (9).

Victime de son succès,  et au grand dam de son auteur qui proteste énergiquement, elle s’est vu s’adjoindre  au fil des années de nouveaux couplets ou a même vu ses couplets modifiés. Toutes ces modifications , que nous appellerons pour la facilités versions ou variantes, n’ont pas connu le même degré de diffusion. Elles seront présentées en ordre décroissant de popularité.

La version la plus connue (10) (bien moins bien sûr que la version authentique)  comprend 4 couplets (un couplet ajouté aux 3 authentiques). L’auteur en est Periotac ( Pierre Catoire, ancien Grand Commandeur de la Confrérie Fraternelle des Jacquets de France):

Ce 4ème couplet (11)

Quand l’amitié estompe le doute
Dans un élan de fraternité
On peut alors reprendre la route
Et s’élever en toute liberté

Une seconde variante  bien connue comprend 5 couplets (2 couplets ajoutés à la version authentique). L’auteur de cette version nous est inconnu. .

Couplets 4 et 5 (12)

A chaque pas, nous devenons des frères
Patron St Jacques, la main dans la main
Chemin de Foi, chemin de lumière
Voie millénaire des pèlerins
.

Ultreïa ! Ultreïa ! E sus eia Deus adjuva nos !

 Mr St Jacques écoutez notre appel
Des Pyrénées à Compostelle,
Dirigez nous du pied de cet autel,
Ici-bas et jusqu’au Ciel

Cette version est  même traduite en anglais, allemand, alémanique  et italien (8). Elle est aussi parfois chantée en 6 couplets en faisant suite à la variante précédente (13).

Une troisième variante a 8 couplets (5 couplets ajoutés aux 3 authentiques). L’auteur en est anonyme. Mais  une partie de son inspiration a été trouvée dans une prière de la liturgie des heures (tropaire de l’office des lectures) pour la fête de saint Antoine (14) et aussi dans une autre prière « Frère Pèlerin « (15). Il est vraisemblable que l’auteur de ce texte soit un clerc.

Prière « Va Pèlerin » (14) Prière Frère Pèlerin (15) Couplets 4 à 8 auteur inconnu (16)
Va, pèlerin, poursuis ta quête ;
va ton chemin,
que rien ne t’arrête.
Prends ta part de soleil
et ta part de poussière ;
le cœur en éveil,
oublie l’éphémère.Tout est néant :
rien n’est vrai que l’amour.
N’attache pas ton cœur
à ce qui passe.
Ne dis pas : j’ai réussi,
je suis payé de ma peine.
Ne te repose pas dans tes œuvres :
elles vont te juger.
Garde en ton cœur la parole :
voilà ton trésor.

Tout est néant :
rien n’est vrai que l’amour.

Frère pèlerin,
Viens au sanctuaire,
Marche vers la splendeur,
Ton Dieu lui-même marche avec toi.
  Prépare ton cœur
Et pars dans la confiance et la joie,
Seul ou avec tes frères
Mais viens
  Mets tes pas dans les pas de tes aînés.
Qui que tu sois,

Tu as ta place dans la maison de Dieu.
Tu as des frères à rencontrer
Des Saints à imiter,
Marie à écouter
Et l’Eglise à vivre

 

Si tu as soif de joie de paix,
De justice, d’amour et de pardon,
Viens puiser l’eau vive
Aux sources du salut.

 

Jeune plein d’ardeur,
alade habité par la souffrance,
Toi qui te sens en marge
Comme toi qui goûtes la douceur de la vie de famille,
Viens t’exposer à la lumière de l’Evangile.

 

Va, et reviens réconcilié,
Réconforté, renouvelé.
Annonce alors la bonne nouvelle à tes frères
Dieu nous aime et nous attend.
Marche vers la splendeur ;

Ton Dieu marche avec toi.

 

(1er congrès mondial de pastorale des sanctuaires et pèlerinages-Rome février 1992)

 

4. Va pèlerin va sur ton chemin,
prends ta part de soleil et de poussière,
Le cœur en éveil à la nature si belle,
sur la voie de Compostelle.
5. Jeune ou vieux toujours prêt à partir,
à marcher sur les pas de notre Dieu,
Comme un oiseau volant à tire d’aile,
sur la voie de Compostelle.
  6. N’attache pas ton cœur à ce qui passe,
ne te repose pas dans tes oeuvres,
Garde en ton cœur la Parole éternelle,
c’est la voix de Compostelle.
 7. Prépare ton cœur et marche dans la joie,
plein d’ardeur, rempli d’espérance,
Dieu t’attend à l’ombre d’une chapelle,
sur la voie de Compostelle
 – 8. Ton Dieu lui-même marche avec toi
mets tes pas dans les pas de tes frères,
Abreuve-toi à la bonne nouvelle,
c’est la voix de Compostelle.

 

.Les 4 premières strophes de la prière  « Va pèlerin » se trouvent  aussi dans la chapelle Saint-Roch, près de La Roche sur le GR65(16). Cette version est citée  à plusieurs reprises sur internet ou ailleurs (17).

Les versions suivantes sont plus confidentielles.

La version écrite par Bernard DELHOMME est un simple remaniement du texte originel des couplets 2 et 3 pour en améliorer les rimes.

Version authentique de J.Cl.BENAZET

Chemin de terre et chemin de foi,
voie millénaire de l’Europe,
la voie lactée de Charlemagne,
c’est le chemin de tous les jacquets.

 Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend
depuis toujours son sourire fixe
le soleil qui meurt au Finistère.

Version remaniée par Bernard DELHOMME (12)

Chemin de foi, chemin de terre
de l’Europe la voie millénaire,
de Charlemagne la voie lactée,
c’est le chemin de tous les jacquets 

Et tout là-bas au bout du continent,
messire Jacques nous attend
depuis toujours son sourire éclaire
le soleil qui meurt au Finistère

A ma connaissance cette version  n’a jamais été chantée

Une variante du 4ème couplet n’a probablement été chantée que par ces auteures

4ème couplet (18)

En Aveyron, Conques nous attend
Temps de carême et de partage,
Saint Augustin nous accompagne
Alegria dans nos bagages
.

Enfin une variante en 6 couplets (le 6ème nouveau, ajouté à la version en 5 couplets citée plus haut) a été écrite et chantée par « Annie du chemin. »

6ème couplet (19)

Messire Jacques veille bien sur moi
Sois ma boussole et mon bâton,
Guide moi sur ma de vuelta*,
Pour rentrer jusqu’à ma maison.

*de vuelta, le retour en espagnol, se prononce dé buelta.

Pour être le plus complet possible, ajoutons qu’une version en 19 couplets (16 ajoutés au 3 premiers) existe aussi … (20)

Comme on le voit, les pèlerin.es se sont approprié la chanson: pour beaucoup d’entre eux, elle est devenue leur chanson.
Tout comme cela a été le cas au siècles passés pour la « Grande chanson des pèlerins de saint Jacques » qui a vu se multiplier les versions (Denise PÉRICARD-MÉA en donne 5 différentes datant du XIVe au XVIIe siècle (21) ou encore pour la chanson bretonne « Yan Derrien Santiago de Compostela » qui en comptent au moins quatorze (22), « le chant des pèlerins de Compostelle » de J.Cl.BENAZET  vit sa propre vie.

Son auteur a de quoi s’enorgueillir de voir son œuvre atteindre si rapidement  une telle notoriété.

Face aux vicissitudes de la vie, tout parent a le choix entre garder son enfant, devenus adulte, sous sa tutelle ou, confiant dans son avenir, de lui laisser prendre son envol en toute liberté…

A chacun son chemin.

————————————————————————-

(1) DESILES Amélie, sur la page https://www.youtube.com/watch?v=pRo-nyUu4x4&list=RDpRo-nyUu4x4&start_radio=1. Consultée en date du 10/01/2019

(2) BENAZET Jean Claude, même page

(3) La partition du chant « Vers toi Seigneur » est reprise de  la page https://www.chantonseneglise.fr/chant/638#638-3  et celle du « Chant des pèlerins » de la page de Bernard DELHOMME :  http://www.xacobeo.fr/ZF2.02.mus.Ultreia.htm (l’auteur n’ayant pas répondu à ma demande de l’envoi de la bonne partition)
Il existe également une version musicale à 2 voix,  écrite par Jean Claude BENAZET

(4) https://pietenkarin.wordpress.com/wetenswaardigheden/p elgrimslied/

(5) http://www.pilgrimroads.com/2010/12/ultreia/

(6) http://www.pilgerweg.ch/Pilgerweg/BedeutungUltreia.htm

(7) http://www.stjacquesparis.com/Besace/LaBesace201503.pdf (version en 5 couplets)

(8) http://www.eichinger.ch/eichifamilyhom/Reisen/Jakobsweg/LePuy-Conques/Ultreia.htm

(9) http://camino.zbyszeks.pl/2016/12/09/piesn-wszystkich-pielgrzymow-ultreia/

(10) DEBRUYNE Christian dans son livre « De Namur à Compostelle en 100 étapes« , Memory, dit l’avoir vue sur le mur de l’auberge Casa Jesus de Villar de Mazarife
GIRARD Marie-Éliane dans son livre « L’aventure d’une femme riche et célèbre, » Cram,2017 dit l’avoir chanté dans la cathédrale du Puy-en-Velay, sous la dirction d’un prêtre, le texte des 4 strophes inscrit sur un tableau noir
HUBERTAlain dans son livre « Compostelle, vous en pensez quoi? », EdiLivre dit l’avoir entendu chanter.
Elle est également présentes  sur de nombreuses page internet

(11) présente de manière erronée comme ayant pour auteur J.Cl.BENAZET : http://www.webcompostella.com/wp-content/uploads/2015/05/ultreia.pdf

(12) présenté de manière erronée comme ayant pour auteur J.Cl. BENAZET   : « Ultreia » , sur le site de  « La Voie d’Arles et chemins alternatifs » :http://www.chemin-arles-en-lr.com/site/TelechargementContenu/Ultreia_paroles_et_partition.pdf

(13) http://ultreiaverslesetoiles.eklablog.com/ultreia-pour-moi-et-tous-les-fantaisistes-p1273356

(14) « Prière pour le pèlerin en chemin  » sur la page : https://www.pelerin.com/Pelerinages/Prieres-chants-et-meditations-pour-le-chemin/Prieres-pour-le-pelerin-en-chemin/Va-Pelerin

(15) « Frère pèlerin » , sur le site  de « Culture et Foi Diocèse de Sée »  : https://www.culturefoiseez.org/pastorale-du-tourisme/pri%C3%A8res/

(16) « Ultreia « , sur le site de Bernard DELHOMME : http://www.xacobeo.fr/ZF2.02.mus.Ultreia.htm

(17) Sur le site de François LEPÈRE  sur la page : https://www.chemin-compostelle.fr/va-pelerin/
PESCHARD Anne, « Au rythme de mes pas. Chemin de solitude, chemin de rencontres », EdLivre,  2015 : L’auteure dit l’avoir vue affichée dans l’auberge d’Élisa, à Le Barp
Elle est présentée comme un poème par Roger CARRERE, « Poème pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle (auteur inconnu)« . sur le site de « Choeur de l’Estelas » : http://09160estelas.centerblog.net/135-130-le-retour-du-pelerin

(18) Mariette, Marie-Luce & Isabelle du Secteur Bordeaux-St Augustin, Conques – avril 2011 :  sur le site de « Eglise Catholique Saint-Augustin »
https://saintaugustinbx.fr/Accueil/Album-photos/CHANT-DES-P%C3%88LERINS-DE-COMPOSTELLE-conques2011.pdf.pdf/

(19) Annie du chemin, « Pour moi et tous les fantaisistes  sur la page  « Ultreïa vers les étoiles ! »  : http://ultreiaverslesetoiles.eklablog.com/ultreia-pour-moi-et-tous-les-fantaisistes-p1273356

(20) Ayant oublié d’en noter l’adresse internet, je ne suis plus arrivé à la retrouver par la suite…

(21) PÉRICARD-MÉA Denise, « Cinq versions de la « Grande Chanson » des pèlerins de Saint-Jacques » sur le site de la Fondation David Parou :
https://www.saint-jacques.info/gdechansred.html

(22) MORVAN Nolwenn,  « Chansons de tradition orale en langue bretonne dans les livres, revues et manuscrits», sûr le site https://to.kan.bzh/chant-00256.html

 

 

 

Le 19/01/2019

LA COQUILLE SAINT JACQUES

C’est une belle légende qui va naître au moyen-âge. Toutefois, la coquille saint Jacques que les jacquets ramenaient des cotes de la Galice, comme preuve de leur périple, n’est qu’un emblème que les chrétiens fixèrent sur un symbole bien plus ancien puisque de toute éternité, comme tout symbole d’ailleurs. Car le symbole, en tant que signifiant, véhicule du savoir fondamental de la Tradition Primordiale, exprime un signifié immuable et permanent

Dès l’époque secondaire, ces mollusques construisaient leur coquille en suivant les leçons de géométrie transcendante. Le mot coquille est issu du latin vulgaire conchilia pris du latin classique conchylium, coquillage. Ce mot est emprunté au grec de même sens konkhulion diminutif de konkhê (conque, d’où Conques…) et croisé avec le latin coccum (coque). L’étymologie n’aura pas fini de nous révéler d’autres secrets de cet hermaphrodite aux allures si féminines. En effet, Aphrodite est le nom de la déesse grecque connue des romains sous le nom de Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, bien évidemment. Plusieurs peintres, dont Corelli et Botticelli, ont été inspirés par cette Vénus et nous ont légué des tableaux représentant la naissance d’une Vénus, sortant nue et vierge d’une coquille, ou bien tenant une coquille. La coquille signifiait donc virginité, beauté et amour. Ceci pour les significations étymologiques, mythologiques et symboliques de la coquille, avant que ces millions de pèlerins ne se rendent à cet occident de la terre, à Fisterra.

Au début de ces grandes migrations, les pèlerins se contentèrent de ramasser quelques coquillages qu’ils trouvaient sur la plage et qu’ils ramenaient chez eux comme souvenir. Car depuis l’Antiquité on portait des coquillages pour se préserver de la sorcellerie, du mauvais sort et de toutes sortes de maladies. L’iconographie chrétienne de la coquille n’apparaît que bien plus tard, avec le culte voué à saint Jacques en ce début du Moyen Âge. Sans doute pour des raisons symboliques, la coquille s’est imposée comme attribut de l’apôtre et a donc pris le nom de saint Jacques. Petit à petit, cousue sur le chapeau, sur le sac ou sur le manteau, elle va devenir l’emblème, non seulement des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais progressivement de tous les pèlerins. En plus de son pouvoir protecteur, elle permettait de se distinguer des autres voyageurs, de boire dans les fontaines ou de demander l’aumône car à la vue de la coquille, la charité devient devoir. C’est ainsi que depuis, les pèlerins placent leur voyage sous le signe de ce symbole.

 

 


Le « Veneranda dies », sermon extrait du Codex Calixtinus(1) confère une légitimité à ce symbole et le codifie en précisant que les deux valves du coquillage représentent les deux préceptes de l’amour du prochain auxquels celui qui les porte doit conforter sa vie, à savoir aimer Dieu plus que tout et son prochain comme soi-même. Et nous voici ramenés à la notion d’Amour déjà signifiée par la coquille dans la mythologie. Et en s’appuyant sur le premier épître de Jean (1Jn 4,16) « Dieu est Amour et celui qui demeure dans l’Amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » ce sermon précise que cet Amour de Dieu n’est pas seulement une idée ou une espérance, mais que, dans la foi, il est une rencontre avec ce Dieu qui nous a aimés le premier et nous permet de répondre à l’Amour divin. Car l’Amour est une énergie. Nous pouvons même dire qu’il est l’Energie Une, celle qui n’est pas limitée par l’ego, celle dont découlent toutes les autres. C’est l’agapè, terme grec qui exprime l’Amour infini de Dieu, l’Amour gratuit, traduit en latin par caritas, qui est devenu charité, celle qui conduit à la plénitude. Certes, le pèlerin ignorait peut être tout ce développement du symbolisme de la coquille qu’il arborait sur ses vêtements. Mais le Chemin, au fil des jours et des rencontres le lui rappelait résolument et , presque à son insu, il aimera son prochain comme soi-même, en application du commandement le plus important.(Mc, 12,31) et sous l’influence bénéfique de la coquille.

La coquille saint Jacques est aussi appelée Mérelle ou Mérelle de Compostelle. Mérelle signifie Mère de la Lumière. Elle évoque les eaux, c’est-à-dire la fécondité, l’énergie qui renferme quelque chose de délicat, de précieux. La perle est un trésor identique au grain de sénevé, à la pierre philosophale; symbole essentiel de la féminité créatrice. Cachée dans sa coquille, la perle est Connaissance nécessitant effort et persévérance. La perle a un caractère noble, dérivé de sa sacralité. C’est pourquoi elle orne la couronne des rois ; elle signifie le mystère du Soi rendu sensible. Elle joue un rôle de centre, lorsque les instincts sont maîtrisés : il s’agit de spiritualiser la matière, le corps, de transfigurer les éléments grâce à l’introversion de l’énergie, à la concentration que la perle cachée, puis découverte, représente justement. Nous sommes maintenant plongés dans un vocabulaire et un environnement alchimique, où Mérelle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore « l’eau benoîte » des Philosophes. Car le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est celui de la quête de l’intériorité, de cette perle précieuse comme l’est la démarche alchimique. Cette quête prend son départ en nous, tel que nous sommes (notre matière première) et nous conduit de dépouillement en dépouillement, de révélation en révélation, jusqu’à notre centre, source d’une vie nouvelle. Un guide intérieur, en qui nous mettons toute notre confiance, nous accompagne dans ce voyage, il est symbolisé par saint Jacques. Et, en arrivant à Compostelle, la coquille portée au chapeau, se transforme en astre éclatant, en auréole de lumière, car le premier but de transformation de la conscience est atteint. L’Adepte sait lire le Grand Livre de la Nature. L’étoile qui lui a servi de guide tout le long du parcours, maintenant illumine son esprit. Il peut la traverser et se rendre à Fisterra et, devant l’infini de l’océan, se préparer à la rencontre de l’Absolu.

Le Logo.

Le logo européen a été établi par les graphistes espagnols Macua et Garcia-Ramos à la demande du Conseil de l’Europe. Nous connaissons tous cet emblème jaune sur fond bleu servant de balisage sur les chemins de saint Jacques. Nous étions tous, un jour très heureux de le revoir, nous croyant perdus sur le Chemin. Que signifie-t-il exactement?
Nous pouvons lui trouver quatre niveaux de lecture différents :

1 – C’est l’emblème traditionnel des pèlerinages vers Saint Jacques. La représentation stylisée de la coquille saint Jacques dont nous venons d’évoquer le symbolisme.

2 – L’idée de convergence des chemins. Une représentation symbolique de l’ensemble des chemins de saint Jacques en Europe qui convergent tous vers cet unique point, situé dans la partie la plus occidentale de l’Espagne.

3 – Ce logo transmet également cette notion de dynamique des mouvements vers l’Ouest, de cette transhumance occidentale qui existe depuis l’aube de l’humanité, représentant en ceci la poursuite de la course de l’astre solaire, symbole primitif de la divinité.

4 – Mais le quatrième niveau de lecture est certainement le plus intéressant, car le plus ésotérique. Ce logo est obtenu à partir d’un cercle. Un cercle s’appréhende par une lecture double: il est ce que l’on voit, c’est-à-dire une forme pleine, homogène et statique, parfaitement fermée sur soi. Mais il est tout autant ce qui ne se voit pas : un vide, un abîme cachant en soi un chemin invisible, principe de toute ouverture. Il est donc l’intermédiaire nécessaire entre le visible et l’invisible. Il est au delà de la frontière qui existe entre le créé et l’incréé. Atteindre le centre du cercle c’est rejoindre l’origine et la fin, l’ Alpha et l’ Omega, c’est donc se libérer définitivement de sa situation terrestre et matérielle, c’est la finalité de toute initiation. Comme nous le savons tous, le cercle est composé d’un centre (qui vient d’être évoqué dans le chapitre précédent) et d’une circonférence. Celle-ci est divisée en douze parties égales. (Douze mois, douze apôtres, douze signes du zodiaque, deux fois douze heures, etc.) Le point ainsi obtenu et situé le plus à gauche, à l’occident, est le point d’où tout émane et où tout converge : le Principe.

Les deux points immédiatement adjacents sont reliés entre eux. Ainsi ils ne convergent pas vers le point focal, mais forment avec lui une trinité, la transcendance du ternaire. Les neuf autres points convergent vers le point focal, le Principe, et forment ainsi l’image d’une coquille symbolique. Ces neufs rayons qui irradient représentent les neuf degrés d’émanation du Principe, ils sont donc porteurs des neufs noms de Dieu, ceux que Dieu donna à Moïse sur le mont Sinaï. Ils représentent aussi les neuf niveaux de la hiérarchie angélique. Il résulte de ce schéma que nous avons désormais un moyen d’appréhender le Dieu incognicible par le biais de ses degrés d’émanations successifs et ses intermédiaires. Le Deus Absconditus ne se cache plus, mais se révèle à l’aide de ces neuf rayons, dans une nuit obscure, nous indiquant ainsi, à tous, la voie du retour, celle qui nous fait passer du multiple à l’Unité, celle qui nous replacera dans notre état primordial, celui de la Connaissance, quand nous étions nous même Dieu.

Gilbert Buecher